Vrai racisme et faux racisme à Québec

Le 8 juin 2020, Jean-François Nadeau publie une chronique dans Le Devoir intitulée «Le château».
En 1945, raconte-t-il, un médecin américain, George D. Cannon, et son épouse, Lilian Moseley, en visite touristique à Québec, logent au Château Frontenac.
Parce qu’ils sont noirs, on leur refuse l’accès à la salle à manger.
Vérité
Nadeau y voit une preuve de l’existence au Québec, à cette époque, d’un «système d’exclusion raciale informel», toujours en place aujourd’hui sous des formes différentes.
Au lieu de fantasmer sur un «pseudo-racisme antiblanc», nos «petits et gros Zemmour locaux», dit-il, devraient cesser de voir un «procès de la société québécoise tout entière» à chaque dénonciation du racisme chez nous.
Bref, il ne faudrait pas nous imaginer meilleurs que nous ne le sommes.
François Charbonneau, professeur de science politique à l’Université d’Ottawa, lit la chronique de Nadeau le jour de sa parution.
Il tique tout de suite. Quelque chose cloche.
Le Château Frontenac appartenait à l’époque à la Canadian Pacific Railway, une compagnie anglophone.
La direction de l’hôtel était certainement anglophone aussi.
Un Canadien français, comme on disait jadis, forcément de rang subalterne, aurait-il, à moins d’en avoir reçu l’ordre, interdit l’accès à la salle à manger aux Cannon?
Charbonneau est d’autant plus intrigué que Nadeau détient un doctorat en histoire, ce qui incite à penser qu’il vérifie et s’avance avec prudence.
Voulant tirer l’affaire au clair, il se lance dans une enquête méticuleuse, frustrante, étourdissante, qui dure des années, pour retrouver les papiers personnels de Cannon, des documents juridiques, des témoignages, etc.
Bibliothèque et Archives Canada, un organisme fédéral, et la compagnie qui possède aujourd’hui l’hôtel lui refusent l’accès à des documents.
Charbonneau reconstitue tout de même la vie extraordinaire du docteur Cannon et fait revivre toute une époque.
Il s’avère que la décision d’interdire aux Cannon l’accès à la salle à manger fut prise par George J. Jessop, un anglophone, l’adjoint du directeur de l’établissement, à la suite de plaintes de clients américains.
Les Cannon, qui n’ont peur de rien, s’adresseront à la justice québécoise pour demander réparation et auront gain de cause.
Outrés, beaucoup de gens de Québec leur témoigneront de la sympathie.
Le couple Cannon les remerciera dans une magnifique lettre publique. Impossible de la lire sans en avoir les yeux humides.
Un serveur francophone de l’hôtel sera congédié pour s’être réjoui ouvertement de la victoire des Cannon.
Bref, l’affaire n’illustre pas du tout ce que veut lui faire dire Nadeau.
Polar
Cette histoire ne signifie pas qu’il n’y a pas de racisme chez nous, aujourd’hui comme hier.
Elle montre plutôt qu’on ne vérifie jamais assez, qu’il est hasardeux de tirer des conclusions générales d’un seul incident, et qu’il est parfois problématique d’utiliser le passé, surtout quand on le déforme, pour servir l’idéologie du moment présent.
L’ouvrage, qui se lit comme un polar, aura droit à un lancement à Québec samedi… au Château Frontenac.