Voici la tâche ardue de la Cour pénale internationale
Les mandats d’arrêt lancés jeudi à l’encontre du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas Mohammed Deif, dans le contexte de la guerre à Gaza et des attaques du 7-octobre, marque une évolution historique pour la Cour pénale internationale (CPI) qui lutte depuis 22 ans contre un manque de reconnaissance et de pouvoir coercitif.
Soutenue par 124 États membres et bientôt 125, l’Ukraine venant de ratifier le statut de Rome, traité fondateur de la CPI, l’organisation basée à La Haye, aux Pays-Bas, a pour mission de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves commis dans le monde, lorsque les pays n’ont pas la volonté ou la capacité de le faire eux-mêmes.
Si les condamnations sont rares à la CPI, le simple fait de poursuivre les auteurs présumés d’atrocités envoie le message que la communauté internationale est déterminée à lutter contre l’impunité, selon des experts.
Depuis sa création en 2002, la CPI a engagé 32 procédures pour des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide et d’atteintes à l’administration de la justice.
Quatorze d’entre elles, soit environ 40%, sont toujours en cours, essentiellement parce que les suspects sont toujours en liberté. Mais sans forces de police propres, le tribunal de La Haye a peu de chances de les arrêter rapidement.
Sur les 56 mandats d’arrêt délivrés depuis 2002, seuls 21 ont été exécutés. La CPI compte sur les États pour appréhender les suspects. Mais les pays ne sont guère incités à coopérer, car la Cour n’a «rien à offrir en retour, si ce n’est de voir la justice rendue», déplore Pascal Turlan, ancien conseiller de la CPI.
La liste des personnes visées par un mandat d’arrêt de la CPI comprend le président russe Vladimir Poutine, recherché pour crimes de guerre présumés liés à l’invasion de l’Ukraine, et le chef de guerre ougandais Joseph Kony.
Criminels de guerre présumés
Mais la Russie fait partie des dizaines de pays, avec les États-Unis, Israël ou encore la Chine, qui ne reconnaissent pas la compétence de la CPI, ce qui entravent les enquêtes de la cour sur leurs ressortissants.
Certains États membres défient également l’autorité de la CPI, par exemple en refusant de livrer des suspects. Début septembre, Vladimir Poutine a été reçu en grande pompe en Mongolie, pourtant membre de la CPI.
«Lorsque les États n’aiment pas ce que fait la CPI, ils ne coopèrent pas souvent», souligne Nancy Combs, professeure de droit à la William & Mary Law School, dans l’État américain de Virginie.
Mais le rôle de la Cour n’est pas de poursuivre tous les criminels de guerre présumés, plutôt d’«encourager les nations à traiter leurs propres affaires», insiste le porte-parole de la CPI, Fadi El Abdallah.
Chaque affaire s’accompagne d’un éventail unique de défis, allant de l’ingérence des gouvernements nationaux à l’intimidation des témoins, ce qui a fait capoter la procédure contre l’actuel président du Kenya, William Ruto, lorsqu’il était encore vice-président, en 2016.
Ces difficultés expliquent en partie le faible taux de condamnation de la Cour: elle a acquitté quatre accusés et en a déclaré douze coupables, le dernier en date étant un jihadiste, ancien chef de la police islamique de Tombouctou, au Mali, condamné mercredi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Évolution historique de la CPI
Les autres condamnations ont principalement concerné des fonctionnaires de la République démocratique du Congo (RDC), déchirée par la guerre.
Aux débuts de la CPI, certains pays africains, comme l’Ouganda, la Côte d’Ivoire et la RDC, ont eux-mêmes saisi la Cour pour qu’elle enquête sur des conflits internes, d’autres dossiers ont été initiés par le Conseil de sécurité de l’ONU, selon Nancy Combs.
«La CPI s’est beaucoup diversifiée, mais les États non africains ont opposé une résistance plus farouche à la juridiction de la CPI», relève la spécialiste.
Le mandat d’arrêt à l’encontre de M. Netanyahu marque pour la première fois que la Cour s’en prend au chef d’un pays traditionnellement soutenu par l’Occident, ce qui a suscité l’ire d’Israël.
Il est peu probable que M. Netanyahu ou les dirigeants du Hamas soient bientôt traduits en justice à La Haye.
Ils pourraient être arrêtés en cas de déplacement au Royaume-Uni, en France ou dans l’un des autres pays reconnaissant la CPI. Mais même dans ce cas, les chances d’obtenir une condamnation sont minces.
Ce qui n’empêche pas Mme Combs de penser que les enquêtes de la CPI peuvent avoir un effet dissuasif et une portée éthique.
Qterme, cela ne changera probablement pas grand chose», explique-t-elle.Que