Maria Schneider, Bernardo Bertolucci et Marlon Brando: une agression filmée qui scandalise toujours
Réalisé par Jessica Palud, Maria est l’histoire de Maria Schneider, jeune actrice de 19 ans à qui le réalisateur Bernardo Bertolucci et l’acteur Marlon Brando ont imposé une sodomie simulée sans son consentement lors du tournage du Dernier tango à Paris.
Le dernier tango à Paris, sorti en 1972, suit Paul (Marlon Brando), un Américain dont la femme s’est suicidée et qui entame une liaison sexuelle avec Jeanne (Maria Schneider), une jeune Parisienne. Le film, développé à partir des fantasmes de Bernardo Bertolucci, fait immédiatement scandale en raison, notamment, d’une scène de viol anal.
Maria Schneider se fait alors proposer en grande majorité des rôles dans des films inintéressants. Elle sombre dans la drogue, essaye de se suicider et mourra d’un cancer en 2011.
Anamaria Vartolomei dans «Maria» de Jessica Palud.
PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS
Mais en 2007, elle parle au Daily Mail britannique et explique à quel point le tournage l’a traumatisée. «J’aurais dû appeler mon agent ou demander à mon avocat de venir sur le plateau, parce qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à faire quelque chose qui n’est pas écrit dans le scénario, mais à l’époque, je ne le savais pas», confie-t-elle en indiquant clairement que la scène de viol n’était pas dans le scénario et qu’elle lui a été imposée par les deux hommes.
Quelques années plus tard, Bertolucci explique à la Cinémathèque française: «Je ne voulais pas que Maria joue l’humiliation et la colère, je voulais qu’elle ressente l’humiliation et la colère». Cet entretien, retrouvé en 2016 dans le magazine américain Elle fait scandale.
Redonner sa voix à Maria
En 2018, Vanessa Schneider, la cousine de Maria, sort Tu t’appelais Maria Schneider, dont le film est tiré.
«Je me suis retrouvée, à 23 ans, première assistante sur des plateaux extrêmement masculins, j’étais souvent la plus jeune, et j’ai pu voir les dysfonctionnements de ce métier et certaines humiliations, raconte Jessica Palud au micro de France Inter. Il y a quatre ans, quand je suis tombée sur le livre de Vanessa Schneider, j’ai été bouleversée par ce portrait.»
Plutôt que d’adopter le point de vue de la cousine de Maria Schneider – qui est celui du livre –, la cinéaste a choisi de prendre «celui de Maria et de ne jamais quitter ce regard».
«Maria est un film sur le regard, comment le regard abîme et comment le regard peut réparer. Ce qui est fou, c’est que Maria disait les choses frontalement et qu’elle n’était pas du tout écoutée», précise Jessica Palud.
Anamaria Vartolomei et Matt Dillon dans «Maria».
PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS
Pour écrire le scénario et les dialogues, la réalisatrice s’est plongée dans toutes les entrevues données à l’époque et a effectué des recherches exhaustives.
«C’était important pour moi de retrouver des personnes qui ont connu Maria. J’ai rencontré plusieurs personnes pour essayer d’avoir sa vérité et des gens qui ont travaillé sur Le dernier tango à Paris. J’ai récupéré le scénario original et, effectivement, on peut constater que la scène n’est pas écrite», explique-t-elle.
Maria arrive dans les salles de la province dès le 7 février.
Cinémathèque française encore dans la tourmente
En décembre dernier, alors que la France vit au rythme du procès Péliquot, la Cinémathèque française décide de rendre hommage à Marlon Brando et programme donc Le dernier tango à Paris pour le 15 décembre. Aucun débat, aucun avertissement, rien n’est prévu pour expliquer ce qu’a vécu Maria Schneider sur le plateau.
Les associations féministes et, notamment, Judith Godrèche interpellent la Cinémathèque, reprochant une absence totale de mise en contexte. «Entendons le NON de MARIA SCHNEIDER. Parfois, il est trop tard. Alors c’est à notre tour de dire NON. Car tout le monde le sait, c’est un vrai viol qui a été filmé dans Le dernier tango à Paris», écrit-elle sur Instagram.
Anamaria Vartolomei avec la réalisatrice Jessica Palud à Paris le 20 janvier dernier.
AFP
L’institution parisienne renâcle, puis le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) demande – et obtient – l’organisation d’un débat, qui est animé par Jean-François Rauger, le directeur de la programmation. Finalement, la Cinémathèque annule la projection prévue.
Le 16 janvier dernier, devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le cinéma, Costa-Gavras, président de l’institution, déclare: «Le film aurait dû faire l’objet d’une présentation de séance très détaillée, car [il a eu] des conséquences graves, indiscutablement, sur la vie de Maria Schneider. C’est une leçon pour l’avenir.»
