Ça veut dire quoi, être woke? Retour sur l’origine du terme «wokisme», ajouté au Dictionnaire de l’Académie française
Alors que Québec solidaire se fait accuser d’être woke par le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, le terme «wokisme» fait son entrée dans le Dictionnaire de l’Académie française. Mais c’est quoi, au juste, être woke? D’où provient ce terme et pourquoi l’utilise-t-on ici? On vous explique.
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Être woke, selon le Petit Robert, c’est une personne «qui est conscient[e] et offensé[e] des injustices et des discriminations subies par les minorités et se mobilise pour les combattre, parfois de manière intransigeante (surtout péjoratif, par dénigrement)».
Le Dictionnaire de l’Académie française décrit le wokisme comme un «courant de pensée, idéologie, nés aux États-Unis dans les années 2000, qui prônent l’éveil des consciences aux inégalités structurant les sociétés occidentales, et privilégient la lutte contre les discriminations notamment de nature raciste, sexiste et homophobe».
Selon la définition initiale de 2017 du terme – c’est à ce moment que l’usage de ce néologisme est devenu plus courant et qu’il est entré dans le réputé Oxford English Dictionary –, woke signifie une «personne alerte aux injustices sociales, particulièrement au racisme».
«Le terme woke désignait le fait de ne pas rester passif ou de ne pas fermer les yeux devant la ségrégation raciale vécue par les communautés noires américaines», soulignait le professeur de sociologie politique à l’UQAM Guillaume Dufour, en entrevue à 24 heures en septembre 2021.
«C’était un terme intimement lié à l’espoir qu’en restant conscients, actifs et éveillés, ces dynamiques de ségrégation pouvaient être nommées, dénoncées et renversées.»
Un terme utilisé depuis longtemps
En 1938, le chanteur Huddie Ledbetter, connu sous le nom de Lead Belly, l’a utilisé pour avertir les Afro-Américains qu’ils devaient «rester éveillés, garder les yeux ouverts» («best stay woke, keep their eyes open») à Scottsboro, réputée dangereuse pour les citoyens noirs. La ville de l’Alabama avait été le théâtre, en 1931, du procès inéquitable de neuf jeunes afro-américains âgés de 12 à 20 ans reconnus coupables et condamnés à mort pour le viol de jeunes femmes blanches.
Le mot a ensuite été défini pour la première fois dans les médias en 1962 par William Melvin Kelley, un romancier à la peau noire qui écrivait sur l’argot afro-américain. Il le définissait alors comme une expression désignant un Afro-Américain «bien informé, conscient et à jour».
La communauté noire aux États-Unis a continué de l’utiliser en référence au racisme pendant des décennies.
Black Lives Matter et les réseaux sociaux
Ce n’est qu’en 2014 que la majorité des gens ont entendu parler du terme woke pour la première fois, avec le mouvement Black Lives Matter (BLM).
Ce mot était utilisé lors des manifestations qui ont suivi la mort de Michael Brown, un adolescent noir tué par un policier alors qu’il n’était pas armé. On conseillait aux Afro-Américains de rester vigilants, ou woke, face à la brutalité policière.
L’expression s’est ensuite transformée en hashtag (#staywoke) et son utilisation s’est répandue comme une traînée de poudre. On l’utilise aujourd’hui pour toutes sortes de causes: défense des droits des Premières nations, des réfugiés ou de la communauté LGBTQ+.
Un terme devenu péjoratif?
Le mot semble cependant s’être perdu dans les guerres culturelles et idéologiques entre la gauche et la droite politique. Résultat: il est maintenant surtout utilisé d’une manière péjorative, souligne Guillaume Dufour.
On l’associe désormais plus souvent à des personnes «moralistes, dogmatiques, qui donnent des leçons, qui prônent la culture du bannissement et la rectitude politique», selon une définition de 2021 de Nadine Vincent, professeure au Département de communication de l’Université de Sherbrooke.
«Ce mot est maintenant utilisé de manière péjorative pour insulter les personnes qui ont des valeurs plus progressistes, qui vont plus s’apparenter au spectre de la gauche politique», expliquait en septembre 2021 la sociolinguiste et étudiante au doctorat en linguistique Alexandra Dupuy.
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«Le terme a été remobilisé par des acteurs politiques pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une surmoralisation de la politique», selon Guillaume Dufour.
Pour Alexandra Dupuy, ce qui est particulier avec ce terme, c’est que les personnes à qui l’on assigne cette étiquette ne s’identifient pas elles-mêmes comme étant wokes, démontrant l’emploi «complètement péjoratif» du mot.
L’usage est roi
Cette réappropriation du terme woke n’a rien de surprenant. En effet, c’est tout à fait normal qu’un mot change de définition en fonction de l’usage, selon Nadine Vincent et Alexandra Dupuy.
«Dès que c’est un mot qui désigne une personne, il y a de fortes chances [que sa définition] change à travers le temps. Mais on n’est pas capables de prédire quels mots exactement vont changer de sens», expliquait en 2021 Alexandra Dupuy.
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On peut ainsi penser au mot boomer qui, à la base, est un terme complètement factuel pour désigner les personnes nées entre les années 1946 et 1966. Mais l’usage récent lui a donné la connotation péjorative qu’on lui connaît. Même chose pour le mot queer, autrefois une insulte, que la communauté LGBTQ+ s’est réapproprié pour se désigner.
– Avec des informations de VOX
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